NMT, une nouveauté ?
Dans la littérature spécialisée actuelle, le Nouveau Monde du travail, également dénommé « Het Nieuwe Werken » ou « The New World of Work », fait couler beaucoup d’encre. Derrière ce concept se cache une belle part de marketing. En effet, lorsque l’emballage indique « gratuit » ou « nouveau », le produit se vend mieux. Soyons honnêtes toutefois, ce « nouveau » monde du travail n’a rien de nouveau.
Le Nouveau Monde du Travail est fondé sur la gestion par le résultat. Peter Drücker a popularisé le concept du « Management by Objectives » avec son ouvrage intitulé « The principles of Management », paru en 1954. Un concept datant de plus d’un demi-siècle peut donc difficilement être qualifié de « nouveau ».
Nous connaissons aussi tous depuis longtemps le terme de management participatif, tout comme nous savons depuis belle lurette ce que sont les objectifs SMART. D’autre part, le leadership situationnel de Hersey et Blanchard date des années 70. Dans cette approche, la direction coache les collaborateurs pour les rendre autonomes dans leur fonction, de manière à ce qu’ils ne soient pas contrôlés ou guidés en permanence. Ces équipes autonomes datent elles aussi du siècle dernier. En conclusion, ce « Nouveau Monde du Travail » n’est absolument pas une nouveauté.
La situation au travail est bien totalement nouvelle !
Nous avons aujourd’hui une combinaison de trois facteurs qui se renforcent mutuellement et qui sont ainsi devenus incontournables. Jadis, si nous n’appliquions pas le management par le résultat ni le leadership situationnel, et si nous ne stimulions pas l’autonomie, nous pouvions le dissimuler. Aujourd’hui cependant, la confrontation avec la réalité est inévitable :
1. Petit, j’ai appris que je devais obéir à l’instituteur, que je devais écouter et être poli. La génération d’aujourd’hui a appris à penser par elle-même, à s’affirmer, à ne pas tout accepter aveuglement… La nouvelle génération s’exprime, a de l’assurance, veut tenir les rênes. À l’heure actuelle, de nombreux collaborateurs ont besoin de s’organiser seuls et possèdent la formation ainsi que l’aplomb nécessaires pour y parvenir. Les possibilités technologiques permettent en outre de repousser les limites. Nous demandons à nos collaborateurs de se rendre à Bruxelles pour traiter leurs e-mails, alors que nous avons l’internet. Notre temps est bien trop précieux pour être perdu dans les embouteillages. La nouvelle génération ne l’accepte plus.
Nos collaborateurs nous poussent à lever ces contraintes inutiles et frustrantes.
2. Il y a encore un deuxième facteur :
La disponibilité de talents sur le marché de l’emploi est limitée et les personnes talentueuses vont là où elles peuvent déployer leur savoir-faire. Si nous voulons attirer du personnel compétent, nous devons éliminer tous les obstacles inutiles. Ce qui vaut pour nos collaborateurs actuels vaut aussi pour les collaborateurs potentiels.
Le marché de l’emploi nous pousse à agir.
3. Comme troisième facteur, nous avons la productivité et le retour de nos investissements.
Notre temps de travail est bien trop coûteux pour être consacré à des futilités. Nous devrons donc travailler bien plus intelligemment. De même, nos bâtiments coûtent trop d’argent pour être à moitié vides.
Les coûts nous poussent à agir.
Nous avons pu parler pendant 50 ans de Management by Objectives et de management participatif ou encore d’équipes autonomes. Le Nouveau Monde du Travail n’est pas nouveau, mais le caractère impératif oui. Nous ne pouvons plus faire fi des enseignements du vieux management, résumés dans le Nouveau Monde du Travail. La question n’est pas de savoir si nous allons introduire le Nouveau Monde du Travail, mais comment nous allons nous y prendre. Le parcours sera probablement semé d’embûches ou d’interrogations. Passons-les en revue :
Question #1 : la réglementation (dispositions légales ou accords internes)
Les collaborateurs souhaitent mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie privée et voient une solution dans le télétravail. Quelles mesures faut-il prendre pour cela ? Que faire de la pointeuse et de tous les accords convenus dans la CCT ou le règlement de travail à propos de l’horaire flexible ? Et quelles sont les dispositions à prendre en ce qui concerne l’enregistrement des temps de présence ? Nous avons aujourd’hui un système qui nous permet de payer correctement les chèques-repas. Nous n’allons quand même pas nous débarrasser d’un système si efficace, non ?
Et quelles sont les attentes de l’inspection du travail en Belgique ?
Supposez que vous deviez hélas vous séparer d’un collaborateur, de surcroît dans des conditions qui ne sont pas des meilleures, et que le collaborateur licencié s’adresse au tribunal du travail et présente un dossier avec des e-mails envoyés à 23 heures et durant le week-end. Vous verrez-vous alors réclamer des heures supplémentaires et des prestations de week-end ? Ou cela est-il sous contrôle ?
Question #2 : l’aménagement de vos bureaux
Si vos collaborateurs télétravaillent plusieurs jours par semaine, la moitié des bureaux sont inoccupés. À moins que vous adoptiez le flex desk : le matin, vous arrivez au bureau et vous choisissez l’endroit qui convient le mieux aux tâches que vous devez accomplir cette journée. Il vous suffit de choisir un bureau libre. Si par contre, vous voulez simplement consulter votre boîte de messagerie parce que vous devez de toute façon vous rendre à une réunion dans la demi-heure qui suit, vous n’occupez pas un bureau mais vous prenez place dans le cybercafé. Les entreprises parviennent à passer d’une occupation de 0,8 à 1,4 collaborateur par bureau, tout en prévoyant davantage de salles de réunion et de zones réservées à la consultation des e-mails. Comment organiser cela ? Si vous visitez des entreprises adeptes du NMT, vous verrez des chaises design et autres meubles tendance. Ces commodités sont-elles vraiment utilisées ou personne n’ose-t-il utiliser ces espaces cosy ? Et les directeurs montreront-ils l’exemple et renonceront-ils à leurs vastes bureaux ?
Avant, les bureaux étaient organisés en fonction de la hiérarchie. Le nombre de fenêtres de votre bureau reflétait votre importance. Cette assimilation psychologique suscite beaucoup de réticence à l’instauration du flex desk. De plus, les collaborateurs ont besoin de contact avec leurs collègues. Ils se sentent mieux dans leur nid. Comment se sentiront-ils s’ils doivent travailler et vivre comme des nomades ? Cela leur conviendra-t-il ? Le collaborateur ne se sentira plus « chez lui » au bureau, mais aura l’impression d’être « à l’hôtel ». Nos collaborateurs souhaitent-ils ce genre de lieu de travail ? Dans la réalité, un lieu de travail est souvent plus désordonné, encombré de documents et de mémos. Or, ce fouillis n’est pas vraiment favorable au partage de bureaux et certainement pas au télétravail.
Le flex desk nécessite en effet une approche clean desk et des processus sans papier. Cela requiert davantage d’adaptation, tant dans le comportement des collaborateurs que dans l’organisation du travail. Nous connaissons déjà le processus de numérisation des demandes de congé ou la validation interne des factures. Il reste les processus impliquant les clients. La question de l’informatique ne concerne pas le seul département ICT. Nous devrons également reconcevoir les processus métier.
Question #3 : le support informatique
Si les collaborateurs travaillent à leur domicile, de quel matériel informatique ont-ils besoin ? Utilisent-ils leur propre PC ou l’employeur procure-t-il un ordinateur portable ou une tablette à chacun ? Il y a encore du pain sur la planche en ce qui concerne la problématique « Bring your own device ». Une tablette doit-elle être gérée ou non par le département ICT ?
Et quel est le rendement de ces investissements en matériel informatique ? Chacun reçoit un ordinateur portable doté d’une connexion Wi-Fi et d’un accès au réseau. Les coûts peuvent être bien calculés au préalable. Quels bénéfices pouvez-vous en espérer ?
Question #4 : l’adaptation du style de leadership

Les questions techniques ou juridiques sont les plus simples. Cependant, le NMT va bien au-delà du télétravail et du flex desk.
L’organisation hiérarchisée classique (pensez à Napoléon) repose sur l’expertise et le talent d’organisation du chef ainsi que sur le respect des ordres, des engagements et des règles, de sorte que tout se déroule comme l’a prévu la hiérarchie. La présence est utilisée (à tort ou à raison) comme indicateur des prestations, avec le mauvais raisonnement suivant :
« Quelqu’un qui travaille longtemps preste plus »,
« Quelqu’un qui n’est pas présent ne travaille probablement pas »,
« Une position plus élevée signifie automatiquement un plus grand pouvoir de décision, un plus grand sens de la responsabilité ».
Si les managers ne voient plus où et quand leurs collaborateurs travaillent, cela exige une énorme adaptation de leur part. Si vous parlez de télétravail, vous risquez d’essuyer de nombreuses remarques des dirigeants. Et si vous voulez introduire le flex desk, vous avez intérêt à disposer d’une bonne approche.
Aujourd’hui cependant, nous vivons dans une économie de la connaissance, où le chef est plus un leader qui inspire les individus (pensez à Obama).
Nous devons trouver un style de leadership qui soit adapté au Nouveau Monde du Travail, donc dans le style de celui proposé par Peter Drucker, Hersey et Blanchard. Les actuels gourous du management parlent d’un style axé sur les cinq fondements suivants : vision, solidarité, confiance, responsabilité et liberté.
Il est tout à fait normal que les dirigeants se posent beaucoup de questions et émettent des contre-arguments. Vous pouvez demander à vos dirigeants de dresser la liste de toutes leurs craintes quant au Nouveau Monde du Travail. Placez ensuite cette liste de contre-arguments sur un slide et indiquez en vert les obstacles pour lesquels vous avez une solution, en rouge les obstacles insurmontables et en bleu les obstacles à franchir mais non liés au Nouveau Monde du Travail. Il y a fort à parier que les obstacles bleus suscitent le plus d’inquiétude.
Question #5 : l’adaptation de la manière de travailler, l’évolution des vielles habitudes vers la nouvelle culture d’entreprise
Supposez : vous trouvez que votre organisation est trop peu orientée vers le résultat, qu’elle est trop attachée aux règles, trop peu novatrice, insuffisamment productive. Selon vous, les collaborateurs ne prennent pas suffisamment d’initiatives et il faut abattre les frontières entre les départements. C’est précisément pour cette raison que vous voulez instaurer le Nouveau Monde du Travail. Vous veillez à ce que les collaborateurs soient responsables de leur travail et leur accordez une liberté maximale pour atteindre les résultats convenus. Vous aimeriez que toutes les équipes se posent en petites unités d’exploitation et que le chef d’équipe devienne un entrepreneur. Vous voulez que les collaborateurs n’aient plus le sentiment d’être payés pour leur présence, mais pour leurs résultats.
Attendez-vous alors à un difficile exercice d’équilibre, à maints égards.
Autonomie VS contrôle

Le NMT demande un sentiment d'autonomie personnelle, où la confiance et l’ouverture sont essentielles. Il faut toutefois aussi de l’encadrement. Trop de liberté et trop peu d’encadrement nuisent à l’efficacité. À l’opposé, trop peu de liberté et trop d’encadrement étouffent toute initiative. Dans chaque organisation, il y a des interdits comme des obligations. À côté de cela, il y a beaucoup plus de choses auxquelles chacun se tient, mais qui ne sont pas officielles : « La prudence est ici de rigueur », « Demande quand même d’abord à ton supérieur », « Je n’oserais pas m’y risquer »...
Nous devons donc trouver un équilibre entre encadrement et liberté, tant dans l’intérêt de la direction que dans l’intérêt du collaborateur. Il faut qu’il y ait suffisamment de confiance envers les collaborateurs, mais les collaborateurs doivent aussi avoir suffisamment confiance en eux. Vos managers pensent éviter des erreurs en prenant eux-mêmes toutes les décisions, de sorte que les collaborateurs ne peuvent qu’exécuter ce que le management a décidé. Ou inversement : le collaborateur est convaincu que le management connaît mieux les choses : « Tant que je n’ai pas d’accord officiel, personne ne peut entrer ».
Dans l’organisation, vous pouvez tout définir dans des procédures et imposer des règles aux collaborateurs pour tout et n’importe quoi ou vous pouvez laisser du mou dans la corde.
Défi VS soutien
S’il y a trop peu de défis, les collaborateurs ne sont pas stimulés. S’il y a trop de défis et pas assez de soutien, les collaborateurs n’osent plus agir. S’il y a trop de soutien, cela freine la prise d’initiatives. Sur ce plan à nouveau, il s’agit de trouver un équilibre, tant du côté des collaborateurs que du côté des managers. Si les collaborateurs quittent leur zone de confort, ils doivent aussi avoir l’occasion de commettre des erreurs, car s’ils vivent de mauvaises expériences à cet égard, ils en garderont des traces et chaque défi représentera alors un risque auquel ils refuseront de s’exposer. Les collaborateurs doivent être suffisamment soutenus et encadrés pour oser quitter leur zone de confort en toute confiance.
Attention prêtée au résultat VS espace pour la créativité
Le NMT est fondé sur des engagements axés sur le résultat. Reste-t-il alors de la place à l’innovation, à la créativité et aux projets d’amélioration ? Où pensez-vous que naissent la plupart des idées? Chez vous devant votre machine Senseo ou plutôt devant le distributeur de café de Smals ?
Les collaborateurs peuvent-ils aussi bien partager des connaissances via la fonction de messagerie instantanée et par webcam que dans le restaurant de l’entreprise durant la pause de midi ? Compte tenu de cette réflexion, le NMT ne semble pas forcément favorable au pouvoir d’innovation de votre organisation, car nous perdons plusieurs possibilités évidentes et naturelles. Cependant, comme je le disais au début de cet article, la question n’est pas de savoir si nous allons introduire le NMT, mais comment nous allons le faire. Car ces personnes créatives ne veulent pas perdre un jour de travail par semaine dans les embouteillages ou être freinées par des règles. Nous devrons donc dégager des alternatives pour cela, de préférence meilleures que les solutions originales.
Compétition VS collaboration
Avec le management fondé sur le résultat, les collaborateurs vont-ils se concentrer sur leur propre résultat et non sur le résultat de l’équipe ? Toute entreprise est marquée par des tiraillements. Le NMT renforcera-t-il notre esprit d’équipe ou deviendrons-nous de plus en plus des freelancers et des individualistes sans lien étroit avec l’organisation ?
Ou veillerons-nous à ce que les collaborateurs se sentent plus impliqués, même s’ils travaillent davantage depuis leur domicile ? Et comment éviter qu’avec le temps, la cohésion sociale entre nos collaborateurs, dont nous sommes fiers, ne glisse entre nos mains ?
Bbest comme plateforme d’échange d’expériences
L’introduction du NMT suscite de nombreuses questions, mais beaucoup d’entreprises et d’organisations appliquent cette manière de travailler avec succès. Si vous connaissez des solutions faciles pour des problèmes difficiles, elles sont les bienvenues. Bbest peut multiplier les solutions en les partageant avec les autres membres du réseau.