Ward Terryn, manager opérationnel chez Solina Eke (voir encadré), a suivi la formation Six Sigma Black Belt proposée par Amelior. Comme travail de fin d’études, il a réalisé un projet qui a nettement amélioré les processus logistiques. En bref, il a optimisé la livraison d’additifs nutritionnels, d’épices, de mélanges aromatiques, de sauces, de nutraceutiques et de revêtements au secteur de la restauration (boucheries, traiteurs, cuisines de collectivité).
L’objectif final du projet Six Sigma consistait à réduire les frais de distribution tout en respectant les délais de livraison aux clients. Ward Terryn: « On ne peut pas exiger de nos clients une gestion de stock sophistiquée. La réalité est plutôt ‘on n’a plus rien, il est temps de commander’. Ils attendent de la flexibilité. Environ 5% de notre chiffre d’affaires étaient consacrés aux frais de transport. Et pourtant, les réclamations pour livraisons tardives persistaient toujours. Des tentatives précédentes visant à remédier à cette situation avaient échoué. »
Deux processus: dispatching et transport
Chez Six Sigma, nous pratiquons la méthode DMAIC (Define, Measure, Analyse, Improve, Control) permettant d’aborder systématiquement les problèmes et de les éradiquer.
La phase Define consiste à comprendre synthétiquement le problème, à le situer et à le délimiter. On évaluera également les comportements des parties prenantes afin d’identifier les éventuelles influences positives et négatives sur le succès d’un projet. « Réduire les frais de transport pourrait être avantageux pour la direction mais ne l’est pas nécessairement pour les chauffeurs qui cherchent à multiplier les heures supplémentaires. » Le périmètre du processus problématique a été défini par le biais de SIPOC (suppliers, inputs, process, outputs, customers). Ainsi, en vertu du principe de base de Six Sigma, on parvient à identifier ce qui mérite une attention particulière et à comprendre les parties prenantes mettant en cause le processus problématique et celles qui subiront un impact dû au nouveau processus. Ward Terryn: « On a rapidement découvert que dans notre cas deux processus sont concernés : le dispatching (planification) et le transport à proprement parler. »
Lors de la phase Define, il importe également de prendre en compte « la voix du client » ou d’écouter les besoins du client. « Reprenons l’exemple du chauffeur. Comment se sentira-t-il quand il regardera son planning? Quelle serait la solution idéale pour lui ? Celle-ci pourrait être très simple, le nom correct du magasin où il doit livrer, par exemple. Dans le passé ce n’était pas toujours le cas. Nous avons également cherché des ‘enchanteurs’ (note du rédacteur: ce qui est susceptible de rendre très satisfait). Cela pourrait se traduire par un système qui tient naturellement compte des problèmes transitoires. Le même exercice a été fait pour les clients finaux. Leur besoin de base est de recevoir une livraison correcte, à temps et en bon état. Un des enchanteurs retenus consiste à informer le client du moment précis de la livraison. On a également construit ‘un arbre de qualité’. Sur le plan du QCD (Quality, Cost, Delivery) différents paramètres ont été sélectionnés pour pouvoir répondre aux besoins des clients. Concernant la rapidité, on a prévu par exemple la possibilité de livrer le lendemain de la commande. Afin de renforcer la flexibilité, le client peut modifier sa commande au plus tard à midi la veille de la livraison. »
Portée du projet
Solina Eke a quelque quatre mille clients « dont un certain nombre de clients semi-industriels tellement importants que nous ne parvenons pas à les livrer avec nos propres camions. En plus, nous avons toute une série de petits clients qui parfois ne commandent qu’une fois par an. Nous n’avons pas retenu ces deux extrêmes dans le projet afin d’éviter de confondre l’essentiel avec l’accessoire. Etant donné le nombre élevé de parties prenantes, une équipe de projet a été constituée, composée de représentants du planning, de la vente, de l’administration et de la direction. Cette approche est nécessaire pour communiquer efficacement et pour avancer tous dans la même direction. »
Les 60 freins à l’efficacité
Un diagramme cause-effet a été construit en groupe « qui a révélé environ soixante facteurs susceptibles de compromettre l’efficacité du transport allant d’un collaborateur planning malade à un client qui ne commande qu’un seul produit trois fois par semaine. Nous avons numéroté ces facteurs de X1 à X60 et par le biais d’une matrice cause-effet, nous avons étudié leur impact sur les paramètres CTQ afin de pouvoir réduire le nombre de X. Ensuite, nous avons encore pu le réduire davantage grâce à une analyse FMEA (Failure Mode and Effect Analysis). Finalement, il nous reste encore vingt X à examiner plus en détails, entre autres sur base de leur fréquence. » Restreindre progressivement le nombre de facteurs défavorables dans un projet d’amélioration est une caractéristique essentielle de l’approche adoptée par Six Sigma.
Afin de pouvoir mesurer le progrès, Solina a développé un document spécifique à compléter par les dispatchers (comprenant des questions telles que « combien de fois avez-vous dû changer le planning? ») et les chauffeurs de camion (« combien de temps passez-vous chez un client ? Avez-vous été obligé de faire un détour occasionné par des travaux de voirie ? »). Une des premières constatations est que le processus ne fonctionne que dans 75% des cas en moyenne. Un autre élément de l’approche Black Belt est la détermination du Base Line process capability ou en d’autres mots « Quel est notre degré de faiblesse en ce moment? » « Les analyses ont démontré que la durée moyenne accordée à un client était de 38 minutes alors que je me suis fixé comme objectif une durée maximale de 30 minutes. »
Identification des problèmes principaux avec Pareto
Grâce à la phase de mesure d’identification des facteurs susceptibles de compromettre l’efficacité, on dispose de suffisamment de données pour faire des analyses approfondies: « à quelle fréquence un X spécifique figure-t-il dans les processus planning et transport ? » Une analyse Pareto donne la réponse. Concernant le planning, les modifications de dernière minute sont le grand coupable alors que les embouteillages et les travaux de voirie sont les facteurs principaux qui causent la diminution de l’efficacité du transport. « C’est peut-être prévisible », signale Ward Terryn, « mais chez Six Sigma tout doit être appuyé d’arguments chiffrés et d’objectifs éliminant toute intuition personnelle. »
En examinant de plus près le X1, on constate que les modifications de planning se produisent rarement le vendredi alors qu’elles sont extrêmement fréquentes le lundi. L’analyse Pareto démontre qu’environ cinq clients en sont à la base. Une concertation entre les délégués commerciaux de Solina et lesdits clients nous a permis de remédier à ce problème spécifique. Nous avons également analysé plus en détails un certain nombre d’autres variables, telles que les perturbations occasionnées par les travaux de voirie, le nombre de livraisons par expédition, le nombre de kilomètres pour arriver chez le premier client, le temps de départ du chauffeur et le jour de la semaine. Il en ressort que le nombre de livraisons par expédition et le nombre de kilomètres pour arriver chez le premier client sont les principaux paramètres. Le jour de la semaine où la livraison a lieu joue également un rôle significatif.
Ward Terryn indique : « Force est d’observer toutefois que nous sommes toujours dans la phase d’analyse. Dans la philosophie de Six Sigma, le moment n’est pas encore venu de chercher des solutions. En effet, nous appliquons rigoureusement cette règle pour ne pas ignorer de multiples autres facteurs. Mon formateur a dû me rappeler à l’ordre à plusieurs reprises. »
Enfin, par le biais d’une analyse de régression, nous avons conçu un modèle mathématique combinant le nombre de kilomètres pour arriver chez le premier client et le nombre de clients nous permettant de prédire la durée moyenne par livraison.
Jour de livraison fixe
La phase Improve a commencé par des sessions de brainstorming dans le but de trouver des idées d’amélioration et d’évaluer ces idées par le biais d’une matrice d’évaluation. Nous avons utilisé cet outil pour répertorier les idées les plus banales et exotiques, comme par exemple rapprocher les clients du dépôt. Une idée originale et à la fois plus réaliste est la mise en place de plateformes de nuit. Cette solution consiste à acheminer de grands camions la nuit et à sélectionner des chauffeurs se situant à proximité d’un groupe de clients. Ils pourront facilement charger leurs camions sur cette plateforme.
Une des premières idées – qui a d’ailleurs été retenue – était de confier la livraison de petits clients à des distributeurs. Une autre possibilité que nous avons envisagée est de stimuler les clients à enlever les marchandises à notre dépôt ou de prévoir des GPS proposant la séquence et l’itinéraire idéaux. Des idées moins chères ont également été retenues, à savoir le groupement de clients par zone logistique et l’introduction d’un jour de livraison fixe par client.
Ward Terryn signale : « Après examen de notre clientèle, nous avons procédé à une segmentation en zones logiques sur base des codes postaux. Indépendamment des restrictions propres aux camions, des jours d’ouverture des clients et des revendications des clients, nous avons introduit des jours de livraison fixes. Les clients pourraient interpréter cette solution comme un manque de flexibilité. Pour pallier ce risque, nous avons rédigé une lettre pour informer le client. Nous leur avons donné la possibilité de proposer un autre jour si jugé nécessaire. Afin de préserver notre image de fournisseur flexible, le client peut toujours modifier sa commande au plus tard à midi la veille de la livraison, mais uniquement pour les articles que nous avons en stock. Nous pouvons continuer à offrir ce service puisqu’à l’heure actuelle on connaît la charge statique des camions. » Par ailleurs, tous les clients ont reçu un calendrier affichant leur jour de commande et de livraison. Quelques clients – heureusement des exceptions – nous ont demandé d’être livrés deux fois par semaine, ce que nous avons accepté. Nous nous engageons toujours de mettre le client au centre de nos préoccupations.
Facilitation de la production
Le fait que les clients ont toujours le même chauffeur augmente l’efficacité. En effet, il ne faut plus chercher où le client se situe précisément. Un autre point d’amélioration est que lors de l’introduction de la commande dans notre système, celle-ci est enregistrée automatiquement au jour fixe du client en question. Une telle optimisation du planning s’est faite par le bais du modèle mathématique mentionné ci-dessus. « Si la distance pour arriver chez le premier client augmente, on utilise des camions plus importants et on augmente le nombre de clients à visiter. Les différences entre les chauffeurs ont été atténuées, car certains chauffeurs avaient un double horaire alors que d’autres n’en avaient qu’un seul. »
Le travail est devenu nettement moins complexe pour les collaborateurs planning. A l’heure actuelle, ils peuvent se limiter à donner priorité aux clients au sein des itinéraires déjà établis. Pour le faire de manière adéquate, Solina compte encore acquérir un nouvel outil : « Les camions sont tous équipés d’un nouveau GPS auquel nous envoyons les itinéraires. Le chauffeur ne doit donc plus introduire d’adresse. Le projet a également facilité la production. Les commandes ne sont plus scindées et on n’est plus confronté à l’obligation de livrer demain ce qui est commandé aujourd’hui. La probabilité que cette situation se présente est actuellement 1 sur 5, ce qui est nettement moins qu’avant.»
Le projet a débuté fin 2012, a été lancé en octobre 2013 et est opérationnel depuis janvier 2014. « Il faut encore attendre la fin de l’année pour connaître les résultats financiers et pour savoir si nous avons réussi à réaliser une économie de 80.000 à 100.000 euros », conclut Ward Terryn qui souligne encore l’importance de la communication avec les clients et les parties prenantes. « Les premières réactions de toutes les parties impliquées sont déjà favorables. »
Société familiale devenue groupe international
Solina Eke fait actuellement partie du groupe Solina. L’entreprise était à l’origine une société familiale active sous le nom de Rejo (qui est d’ailleurs toujours un nom de marque) spécialisée en livraisons d’épices dans le secteur de l’alimentation, d’abord comme distributeur et plus tard comme producteur. Il y a dix ans environ, l’entreprise a été reprise par Chris Dewolf et la GIMV. Ils ont acquis également Pellicula, une PME située à Izegem et spécialisée dans la production de gélatine destinée à l’industrie de la viande. Les deux entreprises ont reçu le nom de Sfinc (Spices Functional Ingredients and Coatings). Ce groupe a encore repris deux entreprises actives dans le secteur de l’alimentation aux Pays-Bas. Il y a deux ans, cinq autres entreprises situées en France, en Belgique (Eupen) et en Suède ont aussi été reprises. Aujourd’hui, le groupe est dirigé par la société d’investissement français IK opérant sous le nom de Solina qui compte 700 salariés.