Une visite au service Public Fédéral Sécurité sociale comprenant un expose de M. Frank Van Massenhove fait forte impression. Une organisation du travail soutenue par les moyens techniques disponibles. Comment s’y sont-ils pris, quelles leçons pouvons-nous en tirer?
Par Tony Vanderbruggen
Une perspective inattendue
En entrant dans les bureaux du Service Public Fédéral Sécurité Sociale, j’ai dû m’asseoir quelques instants, non seulement parce que l’intérieur ressemble plus à la salle d’exposition d’un centre de design où l’on veut essayer chaises et fauteuils, mais surtout parce que l’environnement de travail ne ressemble en rien à ce à quoi l’on s’attend dans un ministère. L’environnement de travail adapté n’est toutefois que la clé de voute d’une innovation en profondeur. Dans ce bâtiment, personne n’a de bureau personnel, même pas le Président du Comité de Direction, M. Frank Van Massenhove. Celui-ci déclare : « J’ai calculé que je ne passe que 3 % de mon temps dans mon bureau. Plus vous montez dans la hiérarchie, plus votre bureau est spacieux et moins vous y passez de temps ». Calculez le ROI. Le SPF Sécurité Sociale a diminué de 30% la surface des bureaux, ce qui correspond à un gain annuel de 5 millions d’euros, pour une dépense one shot de 10 millions consacrée à l’adaptation des bureaux et aux mesures d’accompagnement ; en 2 ans, l’investissement est récupéré. Mais l’économie des coûts d’hébergement n’était pas l’objectif central de cette réforme radicale.
Une organisation centrée sur la fourniture de services
Attirer les collaborateurs les mieux adaptés
Le but est de fournir un service public de qualité. A l’avenir, un bon service public sera fourni par des collaborateurs disposant d’un haut niveau d’éducation et motivés dans l’accomplissement de leur travail. C’est pourquoi cette innovation devait créer des conditions de travail motivant les jeunes professionnels à entrer dans un Service Public. En 2020 il y aura pénurie de personnel adéquat. Une organisation qui n’est pas attrayante comme employeur ne pourra plus fonctionner convenablement. Les collaborateurs du futur veulent définir eux-mêmes quand, où et comment ils travaillent. Frank Van Massenhove utilise le slogan « Work at Home. Home at Work » les fonctionnaires peuvent donc travailler à la maison, définissent en grande partie eux-mêmes leur horaire de travail, utilisent des bureaux dynamiques, peuvent évaluer leurs chefs et disposent d’un ensemble de normes qui doivent faire du service un environnement agréable et orienté clients. Les réformes sont un succès. Ceci ressort de l’enquête de perception auprès du personnel du SPF Sécurité Sociale. En outre, la productivité a crû et les clients sont satisfaits.
Être présent n’est pas l’essentiel
Qui veut réaliser un service de qualité en contrôlant quel travailleur travaille où et quand fait un grand détour. La réforme est partie du principe que chacun choisit lui-même où et quand il travaille sauf si ce n’est vraiment pas possible. Le personnel de nettoyage voudrait bien travailler depuis la maison, mais ce n’est pas possible. Les collaborateurs d’un call center le peuvent, mais ils ne peuvent définir leur horaire car la permanence doit pouvoir être organisée. Une analyse a montré que 8% des fonctions ne peuvent définir elles-mêmes où elles travaillent et 5 % quand.
Le contrôle par pointeuse et badge est remplacé par des accords sur le travail à accomplir ; la pointeuse a été supprimée en tant que système, mais les gens ont toujours la possibilité d’enregistrer leur temps de travail pour eux-mêmes et à titre purement informatif. La répartition du travail se fait au sein de l’équipe par ses membres. Imaginez que vous travailliez dans une équipe devant traiter 100 dossiers ; certains membres choisissent de traiter 5 dossiers difficiles, d’autres 10 moins complexes. Ils se repartissent entre eux la charge de travail et le contrôle social conduit à ce que chacun exécute sa part. Nous ne contrôlons plus les personnes sur le « temps », et de ce fait, les gens ne font plus attention à leur temps.
Lorsqu’on travaille avec des bureaux flexibles, le clean desk est une nécessité. Ce qui se trouve encore le soir sur le bureau se retrouve à la poubelle. Ceci a posé problème. Un jour.
L’authenticité comme condition fondamentale
L’exposé de Frank Van Massenhove a aussi mis en évidence une autre approche : « Nous avons trouvé des idées partout, mais ce que nous faisons ici aujourd’hui, je ne l’ai vu nulle part. Nous sommes allés voir dans une société néerlandaise d’assurances. Les employés pouvaient aussi y travailler lorsqu’ils le choisissaient. Mais à côté des bureaux des employés, il y avait une tour séparée pour le management. Chez nous, tout le monde est réuni. Nous avons pris cette idée dans une société brésilienne où les chefs sont choisis par le personnel depuis 20 ans déjà. Ils ne peuvent se trouver séparés physiquement de leurs subordonnés. Cela, nous l’avons repris chez eux. La possibilité pour les collaborateurs d’évaluer leurs chefs est une idée reprise d’exemples scandinaves. Tous les aspects de notre plan de réforme existent, mais pas dans la combinaison appliquée ici. Les idées viennent de diverses sources, mais ce que nous adoptons est appliqué de manière authentique.
Respect et confiance demandent une organisation de travail adaptée
Commander et Contrôler = out
Respect et Confiance = in
L’évidence de l’autorité coulant de source s’est progressivement effritée depuis 1968. Aujourd’hui, l’autorité se mérite par l’authenticité. Dans le passé le chef était le patron, simplement parce qu’il était le chef. Qu’il soit capable d’accomplir le job avait moins d’importance. Un deuxième élément est le niveau de scolarité de la population. Nous avons maintenant besoin de gens disposant de formations supérieures et ceux-ci veulent participer à la réflexion et à la décision. Et s’ils ne le sentent pas, ils s’en vont car ils ont des alternatives. Les jeunes sont surpris que ce type d’organisation du travail soit possible dans l’administration publique, mais ne sont pas surpris en soi que cette manière de diriger soit la bonne. En effet, ils l’attendent.
Ces valeurs et cette approche ont un certain nombre de conséquences. Si vous voulez laisser les collaborateurs travailler où et quand ils le souhaitent, il faut que l’organisation du travail le supporte. Les pièces du puzzle décrites ici s’adaptent parfaitement : piloter sur le résultat, reconcevoir complètement les processus, placer la compétence décisionnelle dans le workflow, travailler de manière totalement informatisée, sans papier, clean desk total, des objectifs d’équipe sans contrôle de temps individuel par pointeuse, visualiser les progrès et lier l’évaluation aux résultats établis et non pas à la perception du chef ou à des critères qui n’apportent rien, comme la présence ou le fait de ne rentrer à la maison que lorsque le chef est parti.
Ici, les gens travaillent aussi lorsque le chef ne le voit pas
Les leaders définissent en accord avec les personnes les résultats à atteindre. Cela conduit à des situations où l’un effectue son travail en 5 heures et l’autre en 8. « Ceci paraît inéquitable, mais, en fait, ce l’était précédemment aussi », dit Frank Van Massenhove, « les gens qui avaient fini leur travail plus vite devaient rester encore un peu au bureau pour avoir bonne contenance. Nous voyons que les gens travaillent maintenant plus efficacement car ils organisent leur travail eux-mêmes. Et nous nous organisons de cette façon pour une autre raison. Nous attirons beaucoup de jeunes avec enfants. Les femmes – principalement – qui travaillaient à temps partiel peuvent travailler à temps plein dans notre système parce qu’elles peuvent mieux organiser leur vie privée en fonction de leur travail. Et elles entrent en considération pour des postes de management intermédiaire. Dans le temps elles acceptaient moins facilement une promotion. Le SPF Sécurité Sociale n’a pas de politique d’égalité des chances (hommes – femmes). Cela n’est d’ailleurs pas nécessaire. Comme les personnes peuvent définir elles-mêmes leurs horaires de travail, elles peuvent mieux concilier travail et vie familiale. Il ne faut plus nécessairement travailler à temps partiel pour pouvoir tout combiner. De ce fait beaucoup plus de femmes se retrouvent dans des fonctions managériales. A l’heure actuelle, la moitié du management team est composé de femmes ; la proportion a doublé en 4 ans. C’est une bonne chose, car lorsque les décisions sont prises par autant d’hommes que de femmes, la culture d’entreprise est plus calme et plus équilibrée. Il faudra peut-être une politique d’égalité des chances car trop peu d’hommes percent vers des fonctions de management. »
Les syndicats
Pour les syndicats traditionnels, cette manière de travailler pose problème. Nous disons aux gens : redevenez régisseur de votre propre vie. Pas seulement de votre travail, mais de votre vie. Avec pour conséquence, par exemple, que des jeunes collaborateurs partent à 15 heures, vont chercher leur bébé à la crèche, jouent et mangent avec lui, et travaillent encore un peu une fois le petit couché… et alors vient la réaction classique que vous incitez les gens au travail de nuit.
La décision de ne plus attribuer de bureau propre aux gens a aussi suscité des critiques. La « guerre des places » remplacerait la « guerre des classes ». Mais il y a plus qu’assez de place ; les lundis, mercredis et vendredis, ils y tellement peu de monde dans les bureaux que cela en deviendrait lugubre.
Facile à introduire partout ?
Beaucoup de managers, tant du secteur public que privé, rendent visite au SPF Sécurité Sociale. Ils éprouvent pas mal de difficultés à mettre en œuvre les nouvelles idées, car ils devraient abandonner tant de symboles de statut : leur grand bureau, leur voiture de luxe… mais ce qui paraît encore le plus difficile à certains est la nouvelle manière de remplir leur rôle de chef dans sa nouvelle signification. Les chefs sont évalués sur leur capacité à développer les talents de leurs collaborateurs. Là où les collaborateurs ne peuvent s’épanouir, les chefs ne reçoivent pas une évaluation positive. Ce sont des choses qui font très peur au management, même intermédiaire. Travailler de manière authentique pose encore un vrai problème aux managers, même dans le secteur privé. C’est pourquoi cela n’a aucun sens de promouvoir ce genre de changements si le management n’est pas convaincu. En outre, Les plus grandes opportunités de renouvellement se trouvent aujourd’hui dans le secteur public car les managers peuvent y travailler beaucoup plus longtemps à un changement de culture et développer calmement la valeur ajoutée de leur organisation. J’espère que le secteur privé commence à s’en rendre compte et va s’occuper davantage du développement des talents de leur personnel. Cela signifie plus que donner des formations. Le développement des talents ne signifie pas « gravir un échelon supplémentaire ». Cela signifie qu’un collaborateur peut dire : « Je gagne autant qu’avant, mais je vais pouvoir faire autre chose. Et de ce fait aller travailler avec enthousiasme les 5 prochaines années. » Pour atteindre ceci il faut une culture spécifique et pour la générer il faut abandonner beaucoup d’idées anciennes. Autrement dit : innover.