Une voiture avec des roues carrées est économique parce qu’elle n’a pas besoin de frein à main, même dans une rue en pente. Il en va de même des stratégies de dénonciation en application dans un nombre croissant d’entreprises: elles multiplient considérablement la surveillance des collaborateurs. Elles garantissent que la perfection immaculée des entreprises n’est pas souillée par les agissements toujours suspects des gens censés travailler pour elles.
Soyons logique et prenons une entreprise de 100 collaborateurs. Pourquoi se priver des 200 caméras du surveillances représentées par les 100 paires de yeux et les 200 micros représentés par les 100 paires d’oreilles disponibles ? De toute façon, ces caméras et ces micros sont déjà financés via les salaires et les charges sociales, alors pourquoi s’en priver ? Je parle à peine des 200 narines toujours prêtes à flairer l’arnaque.
Mais une question me tracasse: le temps passé à surveiller et à dénoncer ses collègues est-il considéré comme temps de travail ? Si la réponse est négative, nous sommes confrontés au paradoxe du collaborateur qui serait la cible d’une dénonciation pour manque d’activités productives par abus de temps passé à dénoncer les autres. En quelque sorte, nous serions en présence d’une nouvelle histoire d’arroseur arrosé. Si la réponse est positive, nous sommes alors face au risque de voir les collaborateurs consacrer une partie toujours croissante de leur temps à la surveillance et à la dénonciation. « Notre mission est de sauvegarder notre perfection par l’auto surveillance », telle pourrait alors devenir la mission de l’entreprise tombée dans ce trou noir inextricable.
Imaginez le scénario!
Lors de mon entretien annuel, je m’engage à dénoncer trois collègues et à semer le doute dans deux domaines. Je sais que si je n’atteins pas mes objectifs, je serai dénoncé à mon tour. Ma question existentielle deviendra: est-il plus important de dénoncer celui qui ne dénonce pas ou de ne pas dénoncer celui qui dénonce ?
Heureusement que la dénonciation est anonyme !